
Pour la mémoire de cette grande dame, qui aura porté si haut les attributs et les missions historiques de notre Justice, notamment à l’égard des femmes et des jeunes filles, la Nation sénégalaise aurait pu rendre un hommage officiel
« Vous apportez à la Cour votre intelligence, votre goût du travail bien fait, votre gentillesse et aussi votre charme ». Kéba Mbaye, Premier président de la Cour suprême.
Suzanne DIOP VERTU : la première magistrate de notre pays dépose LE DROIT au panthéon de l’histoire du Sénégal.
L’émotion et la tristesse qui m’emplissent à l’idée de rédiger la nécrologie de cette grande dame, ne brident pas pour autant mon ironie, et m’autorisent une ellipse qui lui va comme un gant de soie, ellipse suggérée par un de ses deux patronymes, et qui m’est chuchotée par le juge Kéba Mbaye, qui nous enseignait que « La Justice est le seul Service Public qui porte le nom d’une VERTU ».
Parcours atypique
Suzanne Diop s’est construite au cœur de l’élite africaine en région parisienne, pendant cette période très turbulente des années 40-50. Elle s’est forgé une stature de magistrate. Elle est devenue la première magistrate du Sénégal à l’âge de 38 ans. Aujourd’hui, elle nous a quittés après plus de cent ans d’existence, à consacrer une vie de lutte au service de la défense de causes féminines et pour l’amélioration de la condition des femmes, seulement par le moyen du droit.
Suzanne Diop a gravé en lettres d’or un pan de l’histoire de la magistrature, devenant ainsi la première magistrate de son pays, ayant fait, devant ses collègues de la Magistrature sénégalaise, serment de servir la justice avec loyauté, sans partialité, ni haine.
Suzanne Diop, l’enthousiasme et le goût de vivre chevillés au cœur, n’avait rien à envier aux jeunes femmes, gardant à 100 ans, un charme éternel, gardant gravée en son âme, l’africaine attachée à ses origines et son passé de révolutionnaire.
Suzanne Diop est d’abord passée par lycée Faidherbe de Saint-Louis avant d’aller poursuivre ses études en France, pour travailler ensuite à Présence africaine en tant que bibliothécaire. Avec hargne et détermination, la femme de 27 ans, s’inscrit alors à la Faculté de Droit de Paris Sorbonne, faisant fi de la longueur du nouveau cycle d’études, pour terminer brillamment ses études avec sa licence en poche. À 30 ans, Suzanne Diop revient au Sénégal juste après les indépendances en 1961. La sœur du poète David Mandessi Diop est nommée par décret, magistrate au tribunal d’enfant l’année suivante. Un poste qui lui sied, car étant une grande militante pour l’élaboration de textes pour la protection des droits des enfants et particulièrement ceux des femmes. Elle va faire des causes féminines, son cheval de bataille, ayant toujours été sensible aux questions liées aux femmes.
Marquant de son empreinte de femme forte son passage à la Cour Suprême entre 1964et 1967, Suzanne Diop est alors nommée comme fonctionnaire Internationale aux Nations Unies à New York de 1967à 1972 à la Section des Droits de la Femme.
Son combat contre les infanticides
Les années 80, déterminantes pour les droits des femmes, aidant, au Sénégal, une femme tente d’apporter sa pierre à l’édifice en 1987, adossée à sa conscience de magistrate marquée par les cas d’infanticides, Suzanne Diop essaie d’y apporter une solution.
A l’en croire, les mesures les plus adéquates, susceptibles de freiner et d’arrêter ce crime, auraient surtout un caractère social. « La plus efficace au Sénégal serait la réorganisation des maisons maternelles dans lesquelles les femmes pourraient être hébergées en vue de leur accouchement, à un prix modique », défendait-elle. Son combat est toujours, ô combien !!! d’une tragique actualité.
Un combat d’idées dans un Sénégal conservateur
Suzanne Diop est frappée par l’apathie des femmes, révélant que ces dernières lui ont dit de se taire, de ne pas faire beaucoup de bruits et notant un manque de solidarité féminine du fait de notre culture conservatrice.
Ces combats ont valu à cette pionnière des décorations par l’Association des Juristes Sénégalaises et le grade de chevalier de l’Ordre National du Lion.
Suzanne Diop, pionnière de la magistrature sénégalaise, posa ensuite sa détermination à la Cour Suprême, comme conseillère à la Section Administrative et Sociale jusqu’à sa retraite en avril 1989.
Ainsi donc, en cette fin du mois d’Octobre, tante Suzanne Diop Vertu s’est endormie, déjà centenaire, au terme d’une vie débordante de beaux fruits, lui chuchote en hommage filial un de ses neveux, Bacre Waly Ndiaye. Bacre Waly auquel j’emprunte ses mots, pour dessiner et conter Madame Suzanne Diop Vertu, et qui nous emporte d’émotions en écrivant : « Par son élégance, son humour, son humanité, sa compassion militante, la Juge Suzanne Diop Vertu vint ainsi illuminer une famille déjà bien étoilée, celle du poète David Diop et du chirurgien Adrien Diop, pour citer, cette fois ci, ses illustres frères, famille, fierté du Sénégal et du Cameroun qui y mêlèrent leur sang. Que la joie de l’avoir connue et la richesse de vivre à ses côtés estompent le chagrin de sa perte.
Regrets d’une absence désinvolte du judiciaire sénégalais
Pour la mémoire de cette grande dame, qui aura porté si haut les attributs et les missions historiques de notre Justice sénégalaise, notamment à l’égard des femmes et des jeunes filles, la Nation sénégalaise aurait dû, que dis-je, aurait pu rendre un hommage officiel, pour avoir célébré toute sa vie, avec fierté les idéaux de la Justice. Pas un seul membre du ministère de la Justice à la levée du corps de Suzanne Diop Vertu, certainement occupés à préparer le Téra-Meeting, réceptacle de toute leur vanité et de leurs certitudes que l’Histoire du Sénégal n’a commencé qu’en 2024 !
Pardonne-leur Tante Suzanne !!! Excuse leur ignorance…. Ne t’encombre pas, au paradis, de si tristes lacunes…
En tous cas, à nous, tu vas manquer.
Jean Pierre Corréa![]()