
Son nom, Mamadou Diop, porte en lui tout un héritage. Comme tant d’autres Diop avant lui de Cheikh Anta à Lat Dior, il a lui aussi une histoire à raconter ! Parler de Mamj Ras Soul, c’est revisiter l’histoire du reggae et comprendre son véritable sens. Celui qui a grandi entouré d’injustices sociales, de corruption et de désespoir a fait du reggae son arme de résistance. Mais cette musique de vérité dérange, et se voit marginalisée. Censuré pour son titre « M. le président », incompris à ses débuts à Nianing, il refuse de transformer son art en simple divertissement. Pour lui, le reggae est un commentaire social, une mission au service des sans-voix. Lisez-le !
De Mamadou Diop à Mamj ras soul, quelle est votre histoire avec la musique ?
J’ai commencé à faire de la musique parce que je voyais trop d’injustices autour de moi, trop de discriminations sociales. J’ai grandi dans un milieu où la majorité des gens sont laissés de côté, où la corruption maintient les gens dans la pauvreté. Un milieu où les hôpitaux sont des mouroirs, trop de chômage. Certains jeunes se réfugient dans l’alcool, d’autres ne pensent qu’à une chose : partir à l’étranger pour trouver une vie meilleure. Aujourd’hui, beaucoup tombent dans la drogue. Depuis toujours je crois qu’avec la musique on peut aider son peuple à traverser les moments difficiles. On peut leur rappeler l’importance de rester unis, de miser sur l’éducation, le travail et la discipline.

Vous vous décrivez comme un « philosophe a la recherche de la vérité » et être « né pour défendre des valeurs : paix, amour et justice ». À quel moment avez-vous pris conscience de cette mission ?
J’ai pris conscience de cette mission le jour où j’ai commencé à prendre le micro pour dénoncer et réveiller les consciences. Tout a commencé à Nianing, où je dénonçais les choses illégales sauf qu’au début j’étais incompris. À chaque concert, je lançais un message et beaucoup se demandaient de quoi je parlais. Mais avec le temps, d’autres ont commencé à dénoncer comme nous.
De plus votre approche mélange concerts et actions concrètes, l’artiste peut-il vraiment changer la société ? Si oui comment ?

Ce serait prétentieux de ma part de penser que je peux changer la société. Mais je peux me changer moi-même et j’espère apporter ma petite pierre à l’édifice. Mon rôle, c’est de rappeler à mon peuple qu’on doit changer certaines mentalités pour avancer. Nous ne devons pas oublier que nous sommes victimes d’un accident ancestral. Il faut que nous sortions de notre zone de confort. Les politiques peuvent continuer à promettre une vie meilleure au peuple, mais cette belle vie doit commencer par construire l’être humain. Je le répète : il faut construire l’humain avec des valeurs intangibles, et non tangibles. Ce n’est pas en vendant des objets qu’on bâtit un pays. Ce sont nos valeurs humaines qui nous protègent et qui préservent notre société. Et aujourd’hui, ces valeurs sont absentes.
Dans « Reggae time » vous défendez la place du reggae au Sénégal. Pourquoi cette musique reste-t-elle marginalisée selon vous ?
Le reggae est marginalisé à cause de sa vérité ! Ce n’est pas une musique de plaisanterie, c’est une musique puissante qui se bat pour les valeurs et la dignité humaine. Ils marginalisent le reggae parce que notre société n’a jamais voulu regarder la réalité en face. La preuve : le « MASSLA ». Dans ce pays, ceux qui dénoncent sont souvent insultés et traités de tous les noms. Le reggae est une musique qui refuse de se taire. Le reggae ne chante les louanges de personne, il ne fait pas d’éloges. Le reggae éveille les consciences, alerte et rappelle aux décideurs leurs responsabilités. Souvent on nous parle de fumée au Sénégal mais c’est une hypocrisie nationale pour détourner les gens du vrai message du reggae : l’unité, l’amour, la paix et la justice.
D’ailleurs quelle est la différence entre le reggae « divertissement » et le reggae « commentaire social » ?
Le reggae divertissement c’est pour se divertir, plaire aux gens, faire de la musique commerciale et gagner sa vie tout court. Tandis que le Reggae Commentaire social est différent, c’est l’éveil des consciences, être la voix des sans-voix. C’est une opinion, une critique, parfois même une analyse de la société : la politique, les problèmes sociaux… Nous faisons du reggae pour provoquer des changements.D’ailleurs, avec notre propre association, la Tournée Charrette Humanitaire, nous avons toujours joint l’acte à la parole pour montrer à tout le monde que le reggae est un commentaire social.

Votre titre « M. le président » a été censuré par certaines télévisions, cette censure confirme-t-elle la pertinence de votre message ?
Le titre « M. Le Président » a montré encore une fois mon engagement aux côtés du peuple. Et je dis bien du peuple pas seulement des partis politiques, mais du peuple silencieux, celui qui vit toujours dans la souffrance causée par les politiciens. Et leurs techniques pour nous faire taire ne sont que : la prison, la censure, l’intimidation contre toute personne qui ose prendre position. Mais le Reggae man n’a pas peur de dénoncer cela … Nous les reggaemen, avons toujours compris que nos gouvernements nous demandent du travail et le peuple les écoute. Alors il ne faut jamais avoir peur de leur rappeler leurs promesses. En 2011, nous avions déjà dénoncé. C’est trop dangereux de ne pas continuer à le faire. Un État qui se dit démocratique mais refuse la critique finit par devenir sadique : ses seules armes deviennent les prisons et les mensonges inventés pour détruire quiconque ose le déranger. Nous avions commencé avec Abdou Diouf, Wade, Macky Sall, et nous continuons avec le président Bassirou Diomaye Faye. Nos combats ont commencé bien avant leurs partis politiques et leurs personnes. L’oubli fait partie de la nature humaine. Mais ce pays appartient à chacun de nous sans exception. Et aujourd’hui on doit préserver l’exception sénégalaise.
Après quatre albums, comment voyez-vous l’évolution de votre message artistique ?
Oui, avec toute modestie, mon message a beaucoup évolué. Chose normale, l’artiste évolue ! Un reggae man est un messager et un visionnaire. Notre inspiration vient du divin. L’esprit crée la matière et Dieu nous a donné les outils pour réfléchir, anticiper, analyser et alerter. Vous voyez, je reviens d’une tournée internationale en Belgique. J’ai fait le festival Lo Rock à Louvain, un concert sold out au centre culturel de Rossignol, un concert à L’Aquilone à Liège, et un DJ set au Parc Royal à la radio Kiosque. Avec le staff nous étions aussi au Luxembourg pour une collaboration avec Serge Tonnar et des rencontres folkloriques avec d’autres artistes. Cette évolution, on la voit aussi dans les ateliers d’éveil musical qu’on a animés dans plusieurs écoles en Belgique. Aujourd’hui, nous travaillons sur de nouveaux projets de concerts à venir, toujours dans le but de promouvoir la culture.

Quel héritage souhaitez-vous laisser, en tant qu’artiste et citoyen engagé ?
Le reggae est une musique de prophétie ! Nous sommes les dépositaires de la vérité, l’héritage des prophètes. Je veux faire comprendre à nos jeunes frères et sœurs du Sénégal et d’Afrique que l’unité nous fera gagner tous les combats. Bob Marley nous a montré la voie. Le Père Cheikh Anta Diop, mon parent de Koki, m’a montré le combat. Je suis un DIOP, comme tant d’autres qui ont contribué pour le Sénégal : Makhtar Ndoumbé Diop, fondateur de l’université de Koki. Cheikh Anta Diop, le grand savant. Birago Diop, Demba Diop, Omar Blondin Diop, Lat Dior Diop le résistant, Cheikh Ibrahima Diop Massar mon grand-père, disciple de Bamba. Mamadou Diop, Alioune Diop, David Diop, Boubacar Obèye Diop, Ousmane Socé Diop, Boubacar Boris Diop, Pape Bouba Diop, Dr Alioune Blondin Diop, Wasis Diop… Tous ont contribué pour le Sénégal.
DES PROJETS EN VUE ?
Oui, il y a des projets en vue et on y travaille avec notre équipe. Des concerts à venir, la promotion de l’album MENSONGE qui continue et beaucoup de collaborations.