En rachetant les huit magasins de CFAO Retail, le groupe fondé par Demba Ka signe la victoire du savoir-faire local sur les stratégies d’importation européennes. Une transaction qui redessine le paysage de la grande distribution ouest-africaine

Le paysage de la grande distribution sénégalaise vient de connaître un bouleversement majeur. Le groupe local EDK a racheté l’intégralité des magasins Carrefour Market et Supeco de CFAO Retail, marquant un tournant symbolique dans un secteur dominé par les enseignes internationales. Cette transaction, finalisée dans la plus grande discrétion, illustre les difficultés rencontrées par les multinationales sur un marché aux spécificités locales complexes.

Selon Jeune Afrique, « CFAO Retail a cédé l’ensemble de ses magasins Carrefour Market et Supeco au groupe sénégalais EDK, soit huit sites au total, répartis dans la région de Dakar et ses environs ». Cette opération, conclue le 23 juillet dernier, représente bien plus qu’un simple changement de propriétaire : elle symbolise l’émergence d’acteurs locaux face aux géants internationaux en difficulté.

Malgré les discours officiels, cette cession ressemble davantage à un retrait qu’à un repositionnement stratégique. « Officiellement, CFAO consumer, filiale du français CFAO, ne parle pas de retrait, mais plutôt d’un repositionnement », rapporte Jeune Afrique. Pourtant, « la cession de l’intégralité de ses magasins alimentaires à un acteur local, et ce sur un marché encore perçu comme porteur, laisse entrevoir des résultats décevants pour la filiale retail du groupe ».

Cette analyse trouve écho dans les déclarations récentes de la direction. Franck Rouquet, à la tête de la division Consumer depuis juillet 2024, « confiait en mai dernier à Jeune Afrique, la fin du développement de l’enseigne Supeco en Afrique », déplorant une « rentabilité insuffisante face à une concurrence moins contrainte sur les règles d’importation ».

Les chiffres témoignent de cette stratégie de repli. « Sur les trois pays où sa division Consumer était implantée, seuls la Côte d’Ivoire et le Cameroun restent désormais dans son portefeuille », précise le média panafricain. Le rapport annuel 2024 du groupe fait état d’un « chiffre d’affaires global de 349 millions d’euros pour cette branche, sans préciser la contribution de chaque pays ».

Cette acquisition marque une étape décisive dans la trajectoire du groupe EDK. « Fondé en 2012 par Demba Ka, EDK s’est diversifié dans la restauration, l’hôtellerie, puis la distribution alimentaire à travers l’enseigne EDK Low Price, qui compte une cinquantaine d’échoppes », détaille Jeune Afrique. Initialement ancré dans le secteur pétrolier avec « une quarantaine de stations-service réparties dans les 14 régions du pays », le groupe illustre parfaitement la stratégie de diversification des entreprises sénégalaises.

L’économiste Serigne Moussa Dia, cité par Jeune Afrique, souligne l’importance de cette opération : « Ce rachat n’est pas anodin pour un acteur aussi expérimenté ». Cette transaction s’inscrit dans une logique de consolidation qui trouve un appui financier solide. « EDK a bénéficié en juin dernier d’un prêt de 25 millions d’euros de la Société financière internationale (IFC), pour l’extension de ses activités au Sénégal », révèle l’article.

Le timing de cette acquisition n’est pas fortuit. Une partie de ce financement, « 10 millions d’euros, est dédiée au refinancement d’une partie de sa dette existante pour réduire le nombre de prêteurs et améliorer la structure du capital », selon les informations disponibles sur le site de l’IFC.

Les défis d’un marché complexe

L’échec relatif de CFAO révèle la complexité du marché sénégalais de la grande distribution. « Le pouvoir d’achat y reste limité et l’informel domine encore l’essentiel du commerce de détail. À cela s’ajoute une clientèle très segmentée, difficile à satisfaire et à aller chercher en périphérie des grandes villes », analyse Jeune Afrique.

Cette réalité explique les difficultés rencontrées par les enseignes françaises. Un spécialiste du retail sénégalais, interrogé par le média, livre une analyse sans concession : « CFAO s’est implanté avec deux marques. Comment veulent-ils que le consommateur se retrouve ? Ce n’est pas un marché adapté au retail à la « française » surtout quand on a un concurrent comme Auchan, avec sa soixantaine de magasins en face ».

Cette analyse met en lumière la domination d’Auchan sur le marché local. « Leader incontesté depuis son arrivée en 2014, Auchan (Senchan) est le leader de la grande distribution moderne au Sénégal, avec un réseau étendu sur tout le territoire », confirme Jeune Afrique. L’enseigne française « s’est adaptée et a pu entrer dans les habitudes de consommation des Sénégalais », contrairement à ses concurrents.

Avec cette acquisition, EDK hérite d’atouts considérables. « EDK hérite d’emplacements stratégiques au cœur de Dakar, notamment dans le quartier du Point E, mais aussi d’un modèle économique éprouvé par les réalités locales », souligne Jeune Afrique. Cette implantation géographique privilégiée constitue un avantage concurrentiel majeur dans un marché où la localisation détermine largement le succès commercial.

La transaction, bien que son montant n’ait pas été divulgué, « devrait être entérinée à la fin de l’été » après validation du ministère du Commerce. CFAO conserve néanmoins « la gestion du centre commercial de Saly, une destination balnéaire au sud de la capitale », maintenant ainsi une présence résiduelle sur le territoire sénégalais.

Cette opération s’inscrit dans une recomposition plus large du secteur de la grande distribution au Sénégal. « Damag, opérateur historique de la grande distribution au Sénégal, est engagé depuis 2023 dans une transition importante », rapporte Jeune Afrique. « Les magasins qu’il exploitait sous enseigne Casino ont progressivement été réorganisés sous la bannière Super U à partir de fin 2023 », dans le cadre d’une stratégie d’adaptation portée par sa maison mère, Mercure International of Monaco.

Cette évolution intervient alors que « le groupe Casino traverse une grave crise financière en France, avec une restructuration majeure amorcée en 2022 », illustrant les répercussions des difficultés métropolitaines sur les filiales africaines.

Dans ce contexte mouvant, EDK « joue désormais sa crédibilité en tant que principal acteur local face aux multinationales Auchan et Casino », conclut Jeune Afrique. Le succès de cette intégration déterminera si les champions locaux peuvent effectivement rivaliser avec les géants internationaux sur un marché aux codes spécifiques et aux défis multiples.

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