Le premier niveau de respect pour un dirigeant, c’est le leadership doublé de compétence et d’éthique, et il mérite respect. Le contraire, c’est l’incompétence qui rime avec arrogance, populisme, démagogie, affabulation, et le corollaire, c’est la défiance
«Allez dire aux hommes politiques qu’ils enlèvent nos noms dans leur business. On a tout compris. Ils nous utilisent comme des chameaux dans des conditions qu’on déplore. Ils nous mènent souvent en bateau vers des destinations qu’on ignore. Ils allument le feu, ils l’activent. Et après, ils viennent jouer aux pompiers. On a tout compris.»
L’auteur de cette belle chanson a été reçu par le Premier ministre Ousmane Sonko, à qui nous sommes tenté de retourner cet opus qui a bercé les Africains au début des années 2000. Oui, Ousmane, on a tout compris après vous avoir lu dans le communiqué du Conseil des ministres de ce 18 juin 2025.
Dans ledit communiqué, le chef du gouvernement, «abordant le second point relatif à la qualité de la représentation des administrations publiques dans les organes délibérants des entités du secteur parapublic, (…) a mis l’accent sur l’importance des fonctions essentielles dans l’offre de services publics de qualité, l’exécution de missions d’intérêt général, la création d’emplois et la régulation dans des domaines prioritaires» d’abord. Ousmane Sonko semble ensuite déplorer «des manquements graves, récurrents et contraires aux règles de transparence et de bonne gouvernance préjudiciables à la qualité du service public dans la gestion de ces structures : la non-tenue des pré-conseils sur des questions stratégiques, l’absence de compte rendu systématique, l’archivage défaillant de la documentation, le non-respect de la durée de validité des mandats des administrateurs et la mauvaise qualité de la représentation due notamment au profil inadéquat de certains administrateurs». Et fort de ce constat, il a enfin «demandé aux ministres de procéder, sans délai, à la régularisation de la composition des organes délibérants, surtout dans le contexte actuel marqué par plusieurs changements institutionnels». Non sans demander d’«apporter un soin particulier au choix de ces représentants dans les organes délibérants, dans le respect des dispositions pertinentes du décret n°2025-670 du 29 avril 2025 fixant les règles de fonctionnement de l’organe délibérant des entités du secteur parapublic».
Désigner des boucs émissaires et ne pas assumer ses responsabilités
Oui, on a tout compris. Car le diagnostic que pose Ousmane Sonko est bien connu des démarches des populistes : c’est désigner des boucs émissaires et ne pas assumer ses responsabilités. C’est une stratégie qui consiste à désigner une personne, un groupe ou une entité comme responsable d’un problème ou d’une situation négative. Procéder ainsi permet de détourner l’attention de la véritable cause du problème, créer un sentiment d’unité contre un ennemi commun désigné souvent à tort et éviter de prendre ses responsabilités.
En effet, Sonko est la traduction expérimentale de la culture de l’irresponsabilité qui caractérise les populistes. Quand il est accusé de viol, c’est un complot ourdi par Macky Sall, le Général Moussa Fall, Antoine Diome et le procureur Serigne Bassirou Guèye. Quand il accuse Mame Mbaye Niang d’avoir détourné 29 milliards du Prodac, on ne doit pas le poursuivre parce qu’il incarne l’espoir de tout un peuple.
Curieusement, Sonko n’est jamais responsable
Avec Sonko, il est le chef de tout. Il valide les nominations, les dépenses d’investissement en dépouillant le ministre en charge des Finances de sa prérogative, les recrutements. La chanson que Talla Sylla avait dédiée au Président Abdoulaye Wade qui conduit la voiture, encaisse les paiements, répare les pneus, pourrait être réadaptée, et elle irait comme un gant à Ousmane Sonko, le Premier ministre «Super Fort».
Nous avons tous entendu le président de la République dire en public qu’il a nommé Mabouba Diagne ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de la souveraineté alimentaire sans l’avoir jamais rencontré. Il dira même que la première fois qu’il lui a serré la main, c’était en Conseil des ministres. Mabouba a-t-il été proposé à Diomaye par Sonko ou par un djinn ? Et que dire de Ousmane Diagne ou Jean-Baptiste Tine ? N’est-ce pas Sonko lui-même qui fera part à l’opinion qu’ils sont ministres sur sa proposition ? Notre Premier ministre est capable d’humilier publiquement les hommes qu’il a luimême choisis pour amadouer des voix discordantes et préserver son image.
Mais curieusement, Sonko n’est jamais responsable. Ce n’est jamais de sa faute. Rejeter la faute sur les autres pour préserver son immunité sympathique de la part de ses partisans et préserver le mythe du sauveur construit sur les ruines du mensonge, et faire croire qu’il n’y est pour rien par rapport à la panne économique gigantesque qui touche le pays est l’objectif de ce coup de com’ qu’autre chose. Sonko, c’est peutêtre le seul politicien qui, en échouant, réussit à se présenter comme victime. N’a-t-on pas tous lu sa prose sur Facebook après la publication de la décision du Conseil constitutionnel qui a retaillé sa loi interprétative de la loi d’amnistie de Macky Sall ? Il disait, entre autres : «Je me serais bien gardé de me prononcer sur la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi dite «interprétative», si les résidus d’opposition sénégalaise ne s’étaient pas précipités, dans une tentative désespérée de récupération politicienne, de conclure à un revers juridique du Groupe parlementaire Pastef-Les Patriotes. Il en est tout autrement, car cette décision conforte la démarche et les objectifs poursuivis par la proposition de loi interprétative…»
«Quand Boubou pose, c’est Boubou qui sort»
Il n’est pas responsable de l’échec de la campagne agricole. La situation du Port n’est pas de sa faute, alors qu’il a choisi le chef de la sécurité de Pastef pour en faire le Directeur général du poumon économique du Sénégal. On ne donne pas l’infrastructure de Télédiffusion du Sénégal à une stagiaire qui préfère signer un contrat avec un privé malien plutôt que de faire confiance à l’expertise du Groupe Excaf, opérateur historique du secteur des médias. On ne confie pas la présidence du Conseil d’administration de Sorano à une artiste dont la carrière a été aussi brève qu’un feu de paille. On ne saurait espérer des résultats quand ceux que tu nommes aux postes de Pca n’ont jamais travaillé et ne savent pas lire un bilan comptable, ni des états financiers. «L’incompétence, quand elle devient systémique, interroge d’abord celui qui choisit. Si les représentants dans les organes publics sont si mal formés, si peu efficaces, si peu rigoureux… alors que dire de celui qui les a nommés ou les a maintenus en poste ? Peut-on dénoncer le naufrage sans regarder le capitaine ?», écrit mon ami Thierno Diop, qui ajoute : «La vérité est simple : on ne peut pas vouloir la réforme et pratiquer l’entre-soi. On ne peut pas promettre la compétence et recycler les camarades. On ne peut pas prétendre gouverner autrement… en gouvernant exactement comme avant. Quand on distribue les postes sur des critères d’allégeance et non d’expertise, il ne faut pas s’étonner que la machine se grippe. La rupture ne se décrète pas. Elle s’incarne. Et elle commence par le haut.»
En effet, peut-on pointer la responsabilité des joueurs de football sans interroger les qualités de l’entraîneur, sa philosophie de jeu, le management de son équipe, la gestion de son groupe, ses choix tactiques, entre autres ? De même, quand on confie le volant d’une Mercedes à un conducteur de moto Jakarta, il peut le déplacer dans tous les sens, mais il ne pourrait jamais le conduire à bon port.
Des joueurs de Navétanes qui jouent pour la première fois en Champions League, on ne peut que s’attendre à de tels comportements. «Ce n’est pas une chose de peu d’importance pour un prince que le choix de ses ministres, qui sont bons ou mauvais selon qu’il est plus ou moins sage lui-même. Aussi, quand on veut apprécier sa capacité, c’est d’abord par les personnes qui l’entourent que l’on en juge», disait Machiavel.
En 2018, un «cadre de Pastef» était invité sur l’émission «Remue-ménage» de Rfm pour échanger sur l’idéologie politique. Le bonhomme était incapable de définir la ligne de conduite de sa formation politique, tellement alambiqué dans ses explications que mon ami Abdou Khadre Lô s’est fendu d’un post sur sa page Facebook pour dire : «Si c’est Pastef, il faut vraiment en désespérer.» Pour se justifier, le militant pastéfien se fendit d’un texte sur sa page Facebook soutenant que «l’émission portait sur l’idéologie et la formation des militants dans les partis politiques. Les aléas médiatiques ont fait que je n’ai pas eu le temps d’exposer l’idéologie de Pastef telle que traitée dans ses statuts et le débat que cela pourrait susciter sur les plans scientifique et politique». L’homme est aujourd’hui ministre-conseiller à la présidence de la République. Et il fait partie des «4000 cadres» de Pastef.
J’ai une fois dit à un ami photographe : «Ta prise n’est pas belle.» Sa réponse a été des plus sarcastiques : «Quand Boubou pose, c’est Boubou qui sort.» Le premier niveau de respect pour un dirigeant, c’est le leadership doublé de compétence et d’éthique, et il mérite respect. Le contraire, c’est l’incompétence qui rime avec arrogance, populisme, démagogie, affabulation, et le corollaire, c’est la défiance. Et on a des hommes de détails à la place des hommes d’Etat.
Par Bachir FOFANA