À l’aube, sous le soleil encore timide d’un site minier sénégalais, les foreuses vrombissent, les équipes s’activent, les charges explosives sont préparées avec la minutie de maîtres horlogers. Au milieu des casques et des gilets fluo, une silhouette se distingue : celle de Rokhaya Sall Mbaye. Regard affûté, posture assurée, démarche conquérante. Elle ne supervise pas seulement un tir de mine. Elle dirige l’un des acteurs les plus stratégiques du forage-minage au Sénégal, un secteur longtemps resté une citadelle masculine. Ingénieure géologue formée à l’Université Cheikh-Anta-Diop, elle s’est imposée en deux décennies comme l’une des voix majeures de l’industrie minière, bâtissant un fleuron industriel parti de presque rien.
De la vocation d’ingénieure à la naissance d’une entrepreneure visionnaire
Dakarienne et scientifique dans l’âme, Rokhaya Sall Mbaye découvre sa passion pour la géologie à l’UCAD avant de l’affirmer sur le terrain, lors d’un stage décisif à la Sococim. Entre foreuses et explosifs, elle saisit l’opportunité d’un secteur encore embryonnaire mais au potentiel immense. Passée par la CSE avec des missions au Mali, en Guinée ou encore au Sénégal, elle se spécialise dès 2007 dans le forage-minage et sillonne l’Afrique de l’Ouest.
En 2011, elle franchit un pas audacieux : créer sa propre entreprise, Mineex. Sans capital bancaire – les machines coûtent plusieurs centaines de millions – elle opte pour la location d’équipements neufs. Une stratégie risquée, mais qui lui ouvre les portes de ses premiers contrats. L’entrepreneure impose progressivement une rigueur technique et un niveau d’exigence rarement vus dans un secteur dominé par des multinationales.
Élever les standards et bâtir une expertise nationale
Au moment où elle se lance, le forage-minage sénégalais est encore artisanal. Rokhaya Sall Mbaye veut en faire une industrie moderne. Elle structure ses équipes, investit dans la qualité et installe chez Mineex une culture d’excellence qui la conduira à décrocher la triple certification Qualité-Sécurité-Environnement, une première nationale.
Consciente du déficit de compétences locales, elle devient elle-même enseignante à l’École des mines et crée un centre de formation interne. Grâce à ce vivier de talents formés aux normes internationales, Mineex passe de quelques machines à une flotte de plus de vingt équipements et plus de 200 collaborateurs. L’entreprise devient, en quelques années, la référence sénégalaise du forage-minage.
S’adosser au monde pour grandir, sans perdre son ancrage national
L’étape suivante s’impose d’elle-même : s’allier à un acteur mondial. En 2017, Mineex s’ouvre au Groupe EPC, leader international du secteur, avant de fusionner en 2022. EPC Mineex naît de ce mariage stratégique : expertise locale, puissance technologique internationale.
Mais Rokhaya Sall Mbaye veille à ce que cette croissance ne dilue jamais l’identité sénégalaise de l’entreprise. Elle en maintient l’encadrement local, renforce les retombées nationales et amplifie sa responsabilité sociale : financement de forages, marchés, infrastructures communautaires, accompagnement de jeunes startups à travers l’incubateur Mine-Up. Son credo : faire croître un secteur en créant de la valeur pour le pays.
Une pionnière qui change le visage du secteur minier
Dire que Rokhaya Sall Mbaye a brisé les barrières serait un euphémisme. Dans un univers longtemps réservé aux hommes, elle mène équipes, machines et stratégies avec l’assurance de celles qui ont conquis leur place par la compétence. Aujourd’hui, la moitié des ingénieurs de Mineex sont des femmes, présentes en première ligne sur les chantiers de Kédougou, Thiès et ailleurs. Une fierté assumée pour la dirigeante, qui souhaite montrer que les métiers techniques sont aussi une voie d’avenir pour les jeunes Sénégalaises.
Son leadership lui vaut plusieurs distinctions, du prix Hub Africa au Choiseul 100 Africa, en passant par le Prix du leadership féminin et le Top 50 Femmes africaines de Forbes Afrique. Mais pour elle, ces récompenses symbolisent surtout la reconnaissance d’années de travail, de risques assumés et de résilience.
Apprendre encore, innover toujours
À 45 ans, alors qu’elle siège à la Chambre des mines du Sénégal et dirige une entreprise de premier plan, Rokhaya Sall Mbaye retourne à l’université pour un doctorat consacré à la modélisation des phénomènes physiques. La recherche devient pour elle un nouveau terrain de jeu pour anticiper l’avenir du secteur : logiciels de simulation, optimisation des tirs, réduction des impacts environnementaux. Elle défend également l’idée d’une usine locale d’explosifs pour réduire les importations et créer de la valeur au Sénégal.
Un modèle pour les nouvelles générations
Dans un continent où l’industrie minière représente un moteur économique majeur, Rokhaya Sall Mbaye incarne une nouvelle génération de leaders africains : audacieux, patriotes, stratèges. Son parcours rappelle que l’excellence locale peut rivaliser avec les géants mondiaux, que les échecs ne sont que des étapes, et que l’ambition, lorsqu’elle s’appuie sur la compétence, peut transformer des secteurs entiers.
Sur le terrain, ses équipes la surnomment « la dure à cuire ». Dans le pays, elle est devenue un symbole de détermination et d’inspiration. Et pour les jeunes filles qui rêvent de sciences, de machines et de défis, elle offre une certitude : même au cœur de la roche, les plafonds de verre peuvent exploser.