Un dialogue national, inclusif et participatif entre les couches d’une nation est une initiative louable et appréciable. Les conclusions qui en découlent peuvent apporter une contribution substantielle à la refondation de la gouvernance et à l’impulsion des dynamiques de développement. La notion de dialogue national est aujourd’hui très galvaudée et semble bien être un stratagème institutionnel à l’appui duquel les partis au pouvoir visent à réguler le climat sociopolitique. 
Le dialogue national initié par le Président SALL au mois de mai 2023, avait une orientation hautement politique dont les conclusions n’ont visiblement pas permis d’arriver à des accords durables sur l’organisation et le fonctionnement du système politique sénégalais. Aujourd’hui, en mai 2025, le Président Bassirou Diomaye FAYE invite la nation à un dialogue national sur le système politique et juridique du Sénégal, autour de dix (10) thèmes. 
L’innovation de taille qu’apporte le Président Bassirou D. FAYE au dialogue national est la création de la plateforme digitale « Jubbanti » qui incite à une participation citoyenne élargie. Mais, le principal défi que l’Etat doit relever – avec cet outil numérique – est d’être en mesure d’apprécier et de traiter efficacement les quantités exorbitantes de contributions qui seront apportées par les sénégalais. In fine, les « dialogues nationaux » orchestrés par les gouvernants sénégalais sont souvent tronqués par leurs orientations thématiques d’une part, et leur format d’autre part.   En effet, les différentes rencontres organisées par les gouvernements s’orientent certes sur plusieurs thématiques intéressantes, mais la commission politique constitue toujours le seul organe qui cristallise les attentions. Ce sont les hommes politiques qui font et défont les règles du jeu politique. A l’heure où nous sommes, nous pensons fondamentalement que les orientations thématiques du dialogue national devraient porter sur l’identification de stratégies salvatrices et d’options novatrices par lesquelles la « Vision Sénégal 2050 » et la « Stratégie Nationale de Développement 2024-2029 » seront portées par le peuple sénégalais et mises en œuvre par l’Etat. 
Autrement dit, toutes les couches de la société sénégalaise doivent s’organiser, réfléchir, se concerter à l’effet de fournir des contributions citoyennes édifiantes guidant la démarche du gouvernement dans l’opérationnalisation de sa politique constructive de développement. C’est cela le vrai dialogue. Il est important, par moment, de surseoir aux manœuvres, aux élucubrations politiques et parler de « DEVELOPPEMENT ». 
En réalité, les urgences sont nombreuses. Les priorités de développement sont omniprésentes et se posent avec acuité. Au regard de la situation cahoteuse des finances publiques, de la vie chère des sénégalais, de l’organisation sociale, il est judicieux, voire impérieux et de recentrer le débat citoyen autour de l’ÉCONOMIE et du DEVELOPPEMENT
Comment rebâtir le Sénégal sur des bases saines, performantes, innovatrices et résilientes afin de promouvoir une transformation structurelle de notre économie ? Comment résorber notre niveau d’endettement avec le secteur privé local et le financement participatif ? Comment assurer une gestion optimale de nos ressources naturelles, minières, énergétiques pour favoriser l’industrialisation, créer des emplois substantiels, revigorer l’économie des territoires ? Comment encourager l’innovation socio-territoriale à l’instar des pôles territoires ? Comment réguler les dérives psychosociales des sénégalais dans les réseaux sociaux ? Comment resserrer les liens sociaux et consolider la cohésion sociale par des politiques publiques soutenues ?  Comment bâtir un système de santé performant ? Comment doit-on favoriser la souveraineté alimentaire à travers la revitalisation des grappes de convergences et la stimulation des créneaux d’excellence territoriaux ? 
Voilà autant de thématiques primordiales et vitales entérinées par la « Vision Sénégal 2050 » qui méritent l’organisation d’un dialogue national inclusif, participatif et itératif dont les résultats profiteront à toute la nation. L’opportunité nous sera offerte pour parfaire notre système politique, judiciaire et électoral à l’approche des élections (locales ou présidentielles) avec l’organisation d’assises ouvertes et inclusives. 
Par ailleurs, en dehors du problème de fond, le format du dialogue national connait un biais épistémologique sans précédent et une tare consubstantielle qui concourent à sa compromission prématurée. En effet, les dialogues sont de très courte durée (de deux à trois semaines) et implique une centaine d’organisations confinées dans une salle aux lambris dorés, avec beaucoup de discours et peu d’impacts. Un changement de paradigme, en misant sur le « LOCAL », est crucial si l’on souhaite faire du dialogue national un instrument probant de développement endogène, un baromètre de la gouvernance.  
En effet, la territorialisation du dialogue semble être l’option la plus avantageuse dans la mesure où elle encourage la participation citoyenne au processus de consolidation de la gouvernance tout en favorisant l’appropriation, par les acteurs territoriaux, du nouveau référentiel des politiques publiques. De tels processus devraient être portés par des « indépendants » ayant une longue expérience de gestion de processus de dialogue, qui maitrisent les Outils et Méthodes d’Intelligence Collective (OMIC).
Cette approche territorialisée du dialogue, basée sur le pilier « bottom-up », peut se faire à trois niveaux. Il y’a d’abord le niveau régional, ensuite le niveau « Pôle territoire » et enfin le niveau central ou national.  
Au niveau régional, les acteurs territoriaux seront invités à réfléchir, à se concerter pour faire des propositions constructives sur les thématiques retenues par le dialogue dont la durée peut prendre au minimum un trimestre. Ensuite, ce collège régional transmet ses conclusions à un échelon territorial plus conséquent : le pôle territoire (qui polarise plusieurs régions éco-géographiques). 
Au niveau du pôle territoire, il s’agira d’opérer minutieusement un travail de mise en cohérence et d’établissement de synergies fonctionnelles entre les productions régionales et les orientations stratégiques définies par le référentiel de développement, notamment la Vision Sénégal 2050, à l’exception des pôles Dakar et Thiès qui s’étendent sur des régions administratives. L’affinement des productions régionales par le Pôle est nécessaire avant la transmission des données au niveau central. 
Au niveau central, les facilitateurs se chargeront de la consolidation de toutes les propositions reçues. Ensuite, ils organisent des séances de restitutions dans les territoires dans l’optique d’une validation sociale des conclusions du dialogue. Enfin, une cérémonie nationale d’adoption des conclusions du dialogue national est organisée sous la présence effective du Chef de l’Etat. 
Avec cette démarche probante, un consensus national sur les thèmes abordés pourrait être obtenu au terminus de ce processus territorialisé du dialogue national. C’est ce qui offre d’ailleurs au dialogue national un caractère itératif et une fonction de redevabilité sociale. 
En définitive, retenons que le dialogue national peut désormais être un pilier fort de notre démocratie, une lanterne stratégique guidant notre processus de construction économique, politique et sociale, mais à condition que son format actuel et son contenu thématique soient profondément restructurés, optimisés et résolument orientés vers le développement économique, via une approche territorialisée. L’institutionnalisation de cette démarche concluante par les pouvoirs publics serait, exceptionnellement, un salut pour notre démocratie et pour notre développement. 

M. Papa Mamadou CISSE, Ingénieur en développement local, spécialiste en gouvernance territoriale et développement économique local